~ Ethique ~

Quelques pitons et spits ont été posés ici ou là pour assurer un passage délicat ou permettre un rappel évitant une descente expo. Ils ont été posés en accord avec les bédouins, ou à leur demande, voire par eux mêmes : ils permettent ainsi l’accès de ces voies à un plus large public. On est cependant encore très loin d’une via ferrata. Certains critiquent cet équipement ; les mêmes n’hésitent cependant pas parfois à laisser vieillir sur place des paquets de sangles de rappel lorsqu’ils n’ont pas trouvé la voie, ou qu’elle leur a semblé trop engagée. N’oublions pas que les voies bédouines ont toujours eu recours à l’équipement : prise taillée, caillou ou bout de bois dans une fissure et « escalier » (gros tas de pierres). Laissons donc aux Al Zuleibih le soin de décider du niveau d’équipement de leurs voies, et non à quelques normatifs néocolonialistes occidentaux.


Le chasseur bédouin a besoin de peu de cairns, car la logique des passages lui est bien connue. Les voies les plus pratiquées sont désormais largement jalonnées de cairns posés par des touristes, ou par des guides « des villes » souhaitant se passer de l’assistance d’un guide de Ram. On y perd un peu le charme de la découverte, mais surtout les guides locaux y perdent une source importante de revenu. Laissons donc les Al Zuleibih baliser et débaliser les voies comme bon leur semble.


La journée de guide en Europe va de 240 à 300 €. A Ram, il vous en coûtera de 80 à 150 € suivant la durée, avec ou sans bivouac, avec ou sans trajet 4x4. La vie en Jordanie n’est pas 2 à 3 fois moins chère qu’en Europe (l’engin qui vous conduit au pied des voies se négocie entre 1200 et 2000 € et consomme plus de 20l de super aux 100 km), et la saison est très courte à Ram. Alors ne mégottez pas trop, et pensez au plus que cela va représenter pour toute une famille quand vous serez parti. C’est cela aussi la solidarité.


L’éthique d’escalade : sous l’influence de Tony Howard (voir le dépliant remis au Visitors’Center : style of climbing - extrait ci-dessous), l’escalade doit être et rester du type terrain d’aventure sans équipement. Cela correspond à sa vision de l’escalade, qu’il partage avec la plupart des grimpeurs anglo-saxons de sa génération. Ceci ne devrait pas être considéré par les Jordaniens, et les Al Zuleibih en particulier, comme un dogme immuable ou une fatalité. Tony est le découvreur de l’escalade occidentale à Ramm. Son opinion est donc respectable, mais cela doit rester une opinion. Les Al Zuleibih doivent pouvoir peser les avantages, les inconvénients et les conséquences d’un tel choix avant de décider. Il serait souhaitable qu’un tel débat ait lieu, afin que la jeune génération de Ramm soit bien consciente des conséquences économiques de cette optique.
Les remarques suivantes peuvent être faites :
- les nouvelles générations de grimpeurs sont de plus en plus attirées par une escalade sportive qui minimise l’engagement et le danger de l’escalade terrain d’aventure. Elles cherchent des voies plus difficiles, mais équipées. Les Britanniques suivent moins ce mouvement, mais force est de reconnaître qu’on les voit de moins en moins à Ramm. Faut-il donc figer le type d’escalade offerte dans le wadi Ramm pour satisfaire une espèce de grimpeurs probablement en voie de disparition, ou faut il que les Al Zuleibih prennent en compte cette évolution pour satisfaire le véritable marché présent et futur des grimpeurs ? A eux de répondre. Une cordée de grimpeurs qui passe une semaine à Ramm dépense en moyenne 200 JD (nourriture, hébergement, guide et jeep) ; beaucoup viennent, mais ne reviennent plus, car une fois faites les 5 ou 6 classiques accessibles, les autres voies demandent un engagement qui n’est plus du goût des nouvelles générations de grimpeurs. D’autres n’osent même pas venir, et préfèreront aller en Sardaigne, en Grêce, au Maroc, à Madagascar, et bientôt en Turquie. Moins de 100 cordées viennent chaque année à Ramm. Ce chiffre pourrait probablement être triplée si Ramm offrait une escalade plus conforme aux goûts actuels ; le manque à gagner peut donc être estimé à 40 000 JD par an.
- il y a de la place pour tout le monde dans ce vaste massif, et les puristes trouveront toujours des lignes sans équipements. Environ un demi-millier de voies « terrain d’aventure » ont été ouvertes, à comparer à moins de cinq voies équipées, dont le niveau moyen 6c-7c est bien au delà des capacités des cordées amateurs. L’apport d’une vingtaine de voies équipées dans le niveau 5-6 (soit 4% de l’ensemble) ne serait pas de nature à « défigurer » le lieu ; par contre, il suffirait à attirer la majeure partie des grimpeurs amateurs d’aujourd’hui. Notons de plus que les grimpeurs amateurs ont souvent un pouvoir d’achat supérieur aux grimpeurs professionnels ou semi-professionnels ; ces nouveaux venus dépenseront donc certainement plus que les grimpeurs que Ramm connaît à ce jour.
- le raisonnement des puristes de l’escalade aventure est parfois bien subtil, voire incohérent :
* ils prohibent les « bolts », mais ils laissent un peu partout des sangles pourrir au soleil ; la différence éthique et esthétique ne semble pas évidente.
* ils ont équipé un bon nombre de voies en rappels alors qu’elles pouvaient se redescendre par de superbes voies de bédouins : est ce conciliable avec l’éthique du dépliant ?
* certaines voies bédouines classiques ont été équipées (Sabbah’s route, Hamad’s route entre autres) pour faciliter leur accès, y compris aux non-grimpeurs.
- les grimpeurs-ouvreurs disposés à aider les Al Zuleibih pour faire évoluer le type d’escalade à Ramm sont nombreux ; il suffit qu’ils se sentent appuyés, et non honnis, voire désormais hors-la-loi.

S’il est clair que les grimpeurs ne sont pas la clientèle principale de Ramm, il n’en reste pas moins vrai qu’une ressource complémentaire de quelques dizaines de milliers de JD par an est de nature à faire vivre plusieurs familles de plus à Ramm. Ce point mérite d’être médité par la nouvelle génération qui souhaite se lancer dans le tourisme pour pouvoir rester et bien vivre dans son village. Figer la pratique actuelle de l’escalade à Ramm aura indéniablement des conséquences économiques sur les villageois, et une fois de plus, les conseilleurs ne seront pas les payeurs. Il est possible de faire évoluer cette pratique pour en tirer un bénéfice en terme d’activités pour la jeune génération, tout en conservant harmonie et cohérence avec les pratiques d’origine ; les Al Zuleibih doivent se déterminer eux-mêmes, hors toute influence néocolonialiste.


Extraits de la brochure du Visitors Center
La pratique reconnue dans le Wadi Rum est de se protéger sur coinceurs plutôt que sur protection fixe (spits, broches et pitons). La protection sur coinceurs ne modifie pas l’environnement et les protections fixes doivent donc être réduites au minimum absolu afin de préserver l’intégrité de l’expérience sauvage de cette aire protégée d’importance internationale.
En général, on ne doit pas installer de nouvelles protections fixes dans les voies existantes du Wadi Rum particulièrement dans certaines zones sauvages données et sur les voies bédouines. Les voies doivent conserver leur caractère d’origine sans l’adjonction d’équipement de sécurité supplémentaire. Quiconque a dans l’intention de rééquiper une voie existante doit consulter les autorités de l’aire protégée, grimpeurs nouveaux comme habitués (visiteurs étrangers réguliers et les bédouins) afin de décider si cela peut être autorisé ou non.
Le développement de nouveaux itinéraires est essentiel à la pratique de l’escalade. Afin de préserver l’environnement montagneux, les nouvelles voies doivent seulement être ouvertes en utilisant la protection sur coinceurs, sans protection fixe. La végétation ne doit pas être détruite pour créer une nouvelle ascension.
Evitez d’installer des protections fixes (broches, pitons et anneaux de sangle et corde) dans le Wadi Rum. En cas d’urgence, ceci doit être réduit à un minimum absolu et ne doit pas déborder sur des itinéraires adjacents. De plus, les protections fixes ne doivent pas pouvoir être vue depuis le sol puisqu’elles gâchent l’expérience des autres, étant inesthétiques et constituant une anomalie dans le désert. Dans l’idéal, les équipements fixes à apposer doivent être de couleur sombre, en métal non-poli afin de s’harmoniser avec la roche. Les équipements fixes sont toujours nécessaires pour la descente en rappel (bien que toutes les descentes ne nécessitent pas de rappel). Dans le Wadi Rum, des broches bien placées sont souvent le meilleur moyen pour cette méthode de descente, à la fois en ce qui concerne la sécurité et l’environnement. A cause de la nature de la roche, les pitons ont tendance à se relâcher et doivent être remplacés, ce qui marque la roche. A cause de la forte lumière du soleil et d’une utilisation répétée, les anneaux de corde se détériorent rapidement. Les goujons placés pour les descentes en rappel devraient dans l’idéal être posés par paires, dans une roche solide et reliées par une chaine avec anneau de rappel, ou un large mousqueton à vis en acier.
L’utilisation de perforateurs à accus n’est pas autorisée dans l’aire protégée car le bruit dérange les autres visiteurs, les troupeaux des habitants, la faune sauvage et les locaux. Des concessions spéciales peuvent être accordées pour fixer l’équipement de descente en rappel, à la discrétion des autorités de l’aire protégée.